A bientôt sur Mars

Publié le par Bernard Revel

A bientôt sur Mars
A bientôt sur Mars

Homère se représentait un disque plat dont l’homme ne pouvait même pas imaginer et encore moins atteindre les bords abyssaux. Au temps d’Aristote, les esprits les plus hardis en firent une sphère dont Eratosthène (275-193 avant J.-C.) évalua la circonférence avec une stupéfiante précision : 39.690 kilomètres. Faisant plutôt confiance aux faux calculs de Ptolémée, Christophe Colomb, quelque seize siècles plus tard, la croyait beaucoup plus petite. Résultat, en découvrant l’Amérique, il était persuadé d’avoir atteint les Indes.

Cette erreur, qui prouve qu’avec le temps on ne fait pas forcément des progrès, fut heureusement compensée par une révélation bien plus importante qu’allait confirmer Magellan : quoique plus grande que prévue, la sphère appelée Terre était désormais à la portée de l’homme.

Elle était dès lors condamnée à rétrécir comme peau de chagrin, non pas physiquement, certes, mais dans l’esprit humain que semblaient engrosser, à l’inverse, toutes les découvertes qui lui permettaient de la dominer de plus en plus.

On a beaucoup persécuté et massacré au nom de la « vérité » de Ptolémée - tel ce pauvre Giordano Bruno brûlé vif à Rome en 1600 - et bien après Copernic d’abord et Galilée ensuite qui prouvèrent que la Terre tournait autour du Soleil, ce que l’Église mit encore plus d’un siècle à reconnaître.

Jusqu’où irons-nous ? Avec Gagarine, la Terre fut soudain transformée en citrouille ; avec Internet, elle n’est plus qu’une orange. Tout ce qui se passe dans le monde devient une information de proximité. Seule ma capacité d’absorption heureusement fort limitée – mais ne parle-t-on pas déjà de « réalité augmentée » et n’inventera-t-on pas bientôt un appareil qui la décuplera ? – m’empêche de m’intéresser à ce que font mes six milliards de voisins. Sinon, c’est techniquement possible. Il y a même des gens qui sont payés pour ça.

Quand vous confiez à un portable vos peines de cœur, vos bobos, vos démêlés avec votre patron ou votre impression sur le dernier film de Leonardo DiCaprio, il n’y a pas que votre petit(e) ami(e) qui vous écoute. Votre voix s’envole dans l’espace où elle est soigneusement recueillie par des satellites qui la renvoient vers des radars sur lesquels sont branchés, dans les bureaux discrets d’une banlieue américaine, russe ou chinoise, des oreilles humaines qui vous écoutent, vous enregistrent, qui savent tout de vous. Il y a une vingtaine d’années, éclatait le scandale du réseau Échelon qui captait jusqu’à un milliard de messages par demi-heure. Cette « avancée » américaine reléguait au rayon des antiquités les méthodes artisanales de la Stasi et du KGB.

Le système, bien plus performant, sévit toujours, n’en doutons pas, s’adaptant au développement des réseaux sociaux et de l’usage des smartphones. N’oubliez pas, quand vous téléphonez, écrivez des e-mails, livrez votre vie privée, vos opinions, vos préférences sur Facebook, d’avoir une pensée émue pour ces amis lointains et inconnus qui vous connaissent mieux que personne. Ils méritent des encouragements, les pauvres. Tous les bavardages du monde se déversent sur eux, avec leur lot de malheur, de fiel, de potins, d’histoires en tranche, de sentiments dégoulinants, de pluie et de beau temps. Cela doit être déprimant. Seul Dieu qui entend tout est capable de supporter cela.

Voilà où nous en sommes : à une imitation absurde de Dieu. Sauf que ce dernier est censé lire dans nos âmes, alors que nous, au mieux, ne savons que patauger dans les états d’âme. Et pour quel résultat en définitive ? Je n’en vois pas d’autre que celui de rendre la Terre encore plus petite. A force de résonner de tous les commérages de sa population qui, elle, ne cesse d’augmenter, elle va devenir invivable. Quand une maison est jugée insalubre, on la détruit et on reloge ailleurs ses locataires. Le problème, avec la Terre, est que si, en ce qui concerne la destruction, nous avons la technique et le savoir-faire, nous ne savons pas, en revanche, où être relogés.

Apparue en Afrique il y a 26 millions d’années, l’espèce humaine, poussée irrésistiblement par l’espoir d’un meilleur cadre de vie et la curiosité, a peu à peu envahi toute la planète. Le temps ne va pas tarder où elle devra la quitter pour découvrir d’autres Amériques. Mars sera peut-être la prochaine station. Mais nous ne serons pas tous du voyage.

 

 

Publié dans CAUSE TOUJOURS…

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article