Eloge
Nous venons d'apprendre le décès de notre ami Jacques Queralt. En août 2017, Gérard Salgas lui adressait cet "Eloge"…
ÉLOGE
Éloge : genre littéraire en honneur au XVIIIème siècle. (Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française)
A Jacques Queralt
C'est du lourd m'avait-on prévenu. Et de l'insaisissable, avait enchéri un autre. Il reste sur vos doigts la couleur effeurée d'une aile de papillon. Et tout devient soupçon, et angoisse interrogeante. Où va-t-il ?... où nous mène-t-il ?... Ai-je pris la bonne voie... la hauteur adéquate ?... Son nom signifie en effet qui cherche de la hauteur: qærere altum... Il déroule sous nos yeux des mots en assonance ou discordance. Il ouvre ainsi des brèches, fouille des interstices, met à mal nos incompétences et nos regards aveugles. Douloureuse impression de celui qui n'embrasse pas toute la profondeur du paysage et reste au bord de l'abîme, perd tout repère mais pressent des espaces ouverts à l'infini. Abandonner la quête, se replier sur soi, alors que l'odeur d'un festin annoncé semblait si proche. J'ouvre ma main et s'élèvent d'étranges fumeroles : le non-dit voisine avec le crypté. En rester à l'évanescent, à la fumée et au fumet serait rester sur sa faim, tuer un désir refoulé. Mais ce dire-là est rétif, il s'agite, puis se retire nous abandonnant à notre insatisfaction. Quelles pistes, quelles tonalités inédites, quels secrets ou quelles flamboyances aurait révélé le secret de pareils abîmes,... ou mises en abymes. Ingratitude pour qui avait distillé le suc de cogitations solitaires. Il va son chemin, faussement inattentif aux aléas de notre planète, mais solidement implanté dans l'exercice d'une pensée solitaire et solaire. Il accroche au passage un mot qu'il presse avec circonspection pour en exprimer la substance. Il est l'homme du savoir silencieux, mais fécond, explorateur de lieux secrets, connus de lui seul, mais éclairant de solennelles architectures. A Thèbes, il eût déjoué les facéties du Sphinx, en Crète, vaincu le Minotaure sans l'aide d'Ariane. Il fait jaillir du sens, en éclabousse à profusion le lecteur. Le dire et le penser s'ajustent au fil de l'écriture. Tout lui est objet réflexif.
Dit-il le vrai ?... Peu importe : il ouvre des voies d'accès à plus de clarté et de diversité, rejette l'immobilisme, le statique, le réchauffé et le prêt à penser, le modèle unique, l'emprunt ou la copie. Il manipule du mouvant, du fluctuant... en un mot, du vivant.
