Écrire.

Publié le par Michel Gorsse

Écrire.

Voilà qu’un jour on s’y met. On est à peine pubère, on est ignare de tout, on n’a pas encore lu un seul livre, on ne connaît que la chèvre de M. Seguin en version illustrée, et subitement une poignée de mots nous font unechanson dans la tête. Je dis chanson mais on ne sait pas ce que c’est. Cela tourne drôlement, c’est comme une luminosité qui viendrait par effraction d’entrer en nous, comme une passerelle soudain jetée pour enjamber le cauchemar de la chute sans fin qui abrégea tant de nos nuits d’enfant.

C’est le monde qui soudain vient d’éclore en nous. C’est un Mystère qui vient de nous être révélé et nous savons immédiatement que nous en porterons à jamais les stigmates, que nous ne pourrons jamais oublier ce jour-là, ce jour initiatique où nous sommes entré dans un champ d’action dont le baiser scelle un pacte irrévocable.

Alors on voit grand, on lit grand. Trop grand. Qu’importe ! Il nous faut des pistes en cette terra incognita. Il nous faut des mots comme des indices, comme des étoiles à suivre. Et c’est avec une sauvagerie niaise que nous dévorons des poètes auxquels nous ne comprenons rien mais dont la musique trace notre trajectoire en plein ciel.

Il nous vient dès lors de précoces maturités, de bruts désirs qu’il nous faut sur le champ éprouver. Ce ne sont que secrets autour de nous et nous noircissons des carnets et des carnets pour tenter de les percer. Et c’est dans une bataille que nous nous jetons, à corps perdu. Nous devenons farouches, il nous faut des blessures et des épopées, et des errances car la vraie vie ne peut nous satisfaire autrement. Des errances calamiteuses et magnifiques qui nous mènent de chemins de traverse en tangentes, de marges sordides en expériences limites.

Ainsi du compagnonnage des mots. Jusqu’au jour où enfin le voile tombe, où nous bousculons toute littérature pour la mettre à terre et lui tordre le cou. Et s’il est un instant de grâce, il est là. Quand la vanité et l’inanité de notre quête se révèlent en une intarissable apothéose.

Vaste rigolade que d’écrire.

 

                                                                                    Illustration : Sempé.

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