Sainte Serpillère

Publié le par Michel Gorsse

Sainte Serpillère

19 mai
Sainte Serpillère

Elle vient de loin la serpillère, du fond des âges. A l’origine elle servait de linceul. On enveloppait le défunt dans une serpillère et il pouvait ainsi traverser Styx, Achéron, Léthé, Cocyte et autre Phlégéthon, tous fleuves tumultueux et dangereux, sans risquer de sombrer dans le méchant Tartare.
 
Quand cette utilisation comme gilet de sauvetage passa de mode on se retrouva avec un stock colossal de serpillères sur les bras. On tenta alors, la religion ayant désormais la faveur des vocations et le vêtement sacerdotal le vent en poupe, de la reconvertir en chasuble. Mais sous prétexte qu’on ne pouvait, en raison de sa trame grossière, la broder de fils d’or, cela disait-on est d’un effet des plus grotesque, on la mit encore une fois au rancart.
 
Et c’est un certain Wassingue, marchand Flamand, qui en hérita. Des années il se gratta la tête devant ces montagnes de serpillères qui lui bouchaient la vue. Qu’en faire ? Qu’en faite ? se répétait-il. Jusqu’au jour où une pomme lui tomba sur la tête. A noter encore une fois l’incidence de la pomme sur l’avenir de l’humanité. Une pomme golden.
 
Et cette pomme qu’il ramassa, il eut envie de la croquer. Mais étant couverte de chiures de mouches, par réflexe, il en essuya la peau avec ce qui lui tomba sous la main. Ce fut une serpillère. Et là, l’idée, la vision, l’eurêka victorieux. Il suffisait de lui adjoindre une hampe et voilà notre serpillère métamorphosée en drapeau. On la vit alors flotter sur les empires.
 
Hélas, au premier orage, ce fut la déconfiture. Gorgées d’eaux, les serpillères s’avachirent piteusement. Saisissant l’opportunité, les peuples alors les foulèrent aux pieds ce qui fut interprété comme un irrépressible désir de faire le ménage, lessiver l’ancien monde afin d’en instituer un de plus reluisant. Ce qui fut fait.
 
Hélas encore, on s’aperçut vite que la propreté ne s’éternisait pas. Qu’il fallait en remettre une couche et encore une couche si l’on voulait garder les choses bien nettes. On sortit les fourches et des serpillères on fit des frondes. Ce fut là, on le sait tous, une période historique qui fut rapidement mise sous le boisseau.
 
Et c’est ainsi que la serpillère acheva son destin, dans un seau rempli d’eau, contrainte, en souvenir de son lustre séditieux, à briquer les sols. Avouons-le, les choses ont elles aussi des pérégrinations bien étranges.

 

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