Fifi

Publié le par Michel Gorsse

Fifi

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A Fidel Castrais


— « Alléluia ! Alléluia ! »
Pour la ponctualité il n’y a pas plus pointu que Fifi. Fifi c’est notre idiot du village. Il nous fait des misères, comme de crier dès potron-minet son cri d’allégresse à travers tout le village, mais on l’aime bien. On y tient même. On le chouchoute. Sans lui, dans nos hauts cantons, la vie ne serait pas la même.
S’il y a de ternes idiots de village, s’il y en a de scabreux, de déplaisants, d’acariâtres, de tristounets, de taciturnes, Fifi, lui, c’est un joyeux, un drôle de drille, un jovial. Pour lui, tout est à mettre dans le même sac, celui de la blague. Il n’arrête pas. Si un matin vous vous retrouvez avec les pots de fleurs de votre voisin de droite devant votre pas de porte et que les vôtres de pots de fleurs ornent la jardinière de votre voisin d’en face, ne cherchez pas la main fautive, c’est Fifi qui durant la nuit aura pris un malin plaisir à chambouler le bel ordonnancement floral en vigueur. Si un barrage de containers à poubelles bloque l’entrée du village — il n’y a qu’une route pour arriver chez nous — vous êtes sûr de voir au-dessus de cette barricade le visage hilare de Fifi. Depuis longtemps les paillassons ont déserté le seuil des maisons et pas un seul arrosoir ne traîne distraitement dans les jardins. On le connaît notre Fifi, c’est un insomniaque qui rôde toutes les nuits avec des visées de potache.
S’il vadrouille ainsi une bonne partie de la nuit, il n’en est pas moins actif le jour notre garnement de Fifi. Son poste de prédilection c’est le parking à l’entrée du village où, un grand mouchoir à carreaux entre les dents, des hublots de motocycliste sur les yeux, un bonnet andin en poil de lama sur la tête et les oreilles, revêtu été comme hiver d’une vieille canadienne rapiécée, il guette par tous les temps l’arrivée du touriste.

Dès qu’il aperçoit un véhicule déboucher du dernier virage c’est comme si un ressort soudain se détendait dans son grand corps d’échalas. Nous, les gens du village, on rigole bien quand on imagine l’ébahissement du conducteur qui voit pour la première fois ce grand zigue patibulaire s’agiter comme un ours au milieu de la chaussée en faisant de grands moulinets de bras pour lui désigner où se garer.
— « Alléluia ! Alléluia ! » qu’il psalmodie notre Fifi en levant les bras au ciel et en faisant le tour de la bagnole qui aussitôt immobilisée se verra gratifiée de quelques allers retours de mouchoir, dans lequel il aura salivé abondamment, sur le pare-brise.
Car Fifi s’est d’autorité imposé gardien du parking et guide touristique. A la belle saison, quiconque voulant flairer l’air des hauts cantons pousse, certainement avec quelques sérieuses interrogations vu l’état et l’étroitesse de la route et la profondeur des gorges que l’on y côtoie, jusque chez nous sera, à moins qu’il ne fasse demi-tour illico, pris en charge pour une visite guidée gratuite et exhaustive de notre patelin qui ne compte qu’une trentaine d’âmes.
Entouré d’alléluias comme s’il en pleuvait et péremptoirement cornaqué des toilettes sèches au monument aux morts, de l’église au lavoir, de la mairie à la station d’épuration notre visiteur n’aura d’autre recours pour se dépêtrer de ce fâcheux trop prévenant que de se réfugier dans le petit bistrot de pays où il pourra récriminer tout son saoul en buvant une bière avant de courir à la mairie déposer une main courante. Ainsi repartira-t-il satisfait.
On a comptabilisé cinquante deux plaintes contre Fifi l’an passé. Les plus gratinées on les publie en fin d’année dans le bulletin municipal pour que tout le monde en profite :
« A cause de ce fou qui nous a collé aux basques tout le temps de notre visite nous ne reviendrons plus dans votre village. » « C’est honteux pour la municipalité de laisser un tel attardé mental en liberté. Enfermez-le ! » « Nous portons plainte contre cet hurluberlu agressif qui nous a gâché notre après-midi en nous postillonnant dessus et en nous cassant les oreilles. » « Je soussigné porte plainte contre cet énergumène ressemblant à un kamikaze japonais qui n’a cessé de nous invectiver pendant notre balade dans votre village au point que pas un seul instant nous nous sommes sentis en sécurité. » « Il est inadmissible, et cela relève d’un laxisme coupable, de laisser divaguer un tel imbécile, c’est une insulte faite au tourisme. »
Il faut dire qu’il est intouchable notre Fifi. Non seulement il n’est pas un seul habitant de la commune qui accepterait de le voir aux mains de la garde-chiourme psychiatrique mais en plus il est protégé par son statut de Président de l’A.N.D.I.V. (Association Nationale Des Idiots de Village), ses pairs l’ayant plébiscité pour un mandat à vie.
Ainsi au village nous avons deux personnalités : le Maire et le Président. L’un nous abreuve de discours l’autre d’alléluias, mais les deux nous facilitent la vie. Le maire administrativement, Fifi humainement, surtout qu’on peut toujours compter sur lui quand il est besoin d’un coup de main. Il est toujours disponible, hors saison touristique.

 

Illustration : Bidouillage © Alceste B.

 

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V
Quel bonheur de lire ceci<br /> Quel don que de savoir partager l'essentiel aux autres
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U
Je me disais que grâce à l' A.N.D.I.V. on pourrait peut-être rencontrer des personnages aussi pittoresques que son célèbre président ...
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U
Qu'ils soient Castro ou Castrais, hommage à tous les Fifi du monde. Et j'aime en particulier celui qui après avoir tricoté une maille à l'endroit une maille à l'envers, détricotait le tout comme sa cousine Pénélope à une époque plus ancienne mais que personne n'a oubliée. Homère alors!...
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U
Ah! Soulagé de savoir que la vie dans ces Hauts Cantons suit le cours normal que nous leur connaissions.
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G
Enfin le voilà de retour cet idiot du village, dédoublé redoublé, multiplié portant l'éternité en lui. Longue vie à ce personnage truculent mais utile à la communauté.
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