Rêves d'arosissage

Publié le par Bernard Revel

Rêves d'arosissage

Rêves d’arosissage

Autrefois, disons au temps de ma jeunesse sage, je rêvais d’être pilote d’essai. J’étais même allé, dans ma quinzième année, jusqu’à écrire, pour demander des renseignements, à une école de formation de l’armée de l’Air située, je crois, à Salon-de-Provence. J’ai longtemps gardé secrètement, comme s’il s’agissait d’une promesse d’engagement, le dossier qu’on m’avait envoyé. Combien de fois me suis-je imaginé aux commandes d’un prototype, chevalier du ciel à la manière de Tanguy et Laverdure ou de Luis Mariano, je ne sais plus ! J’étais un as du manche à balai, décollant à la verticale et capable d’atterrir dans un mouchoir de poche. Mon rêve a pris fin avec l’apparition d’une myopie tardive et progressive. Je n’en ai pas souffert car, à cette époque-là, il avait déjà du plomb dans l’aile. Mais n’empêche, je garde toujours une certaine fascination pour les exploits aériens. Au cinéma ou à la télé, atterrissages et amerrissages me donnent des frissons, les mêmes d’ailleurs que je ressens toujours lorsque, passager d’un Airbus ou d’un Boeing, j’attends en fermant les yeux que celui-ci quitte ou touche la piste d’un aéroport. Même avec une vue de lynx, je n’aurais pas été un bon pilote. Trop émotif. Je n’ai pas « l’étoffe des héros » pour reprendre le titre d’un film que j’ai regardé plusieurs fois avec plaisir. Au fond, ces héros-là qui ne rêvent que d’atterrir, alunir, amarsir, que sais-je, ne sont plus les miens. Dans les machines tellement compliquées qu’ils pilotent moins qu’elles ne les pilotent, ils ne sont que des rouages. Cela fait longtemps qu’ils ne font plus partie de mes rêves.

Pourtant, dans ceux-ci, je me vois souvent voler, léger comme une plume, sans autre bruit qu’un petit bourdonnement, porté par la brise, allant deçà delà pareil à la, vous connaissez la suite. Oui, je suis une abeille, un bourdon, une guêpe peut-être, une mouche pourquoi pas. En tout cas, je vole sans me soucier de distance, d’altitude ni d’exploit quelconque. C’est pour moi si naturel, si simple ! Je vole comme on respire. Chaque fleur, chaque branche, chaque feuille, chaque fruit est pour moi un nouveau pays, une planète à explorer. C’est magnifique, non ?

Quelle belle rose ! Elle m’attire irrésistiblement. Il faut absolument que je la butine. Mes ailes battent à toute vitesse, je fais du surplace au-dessus d’un pétale de velours dont le parfum m’enivre et je me pose délicatement. Arosissage réussi ! Si je m’écoutais, j’arosirais tout le temps. Mais l’univers dans lequel j’évolue est si vaste et si varié que chaque jour je découvre de nouvelles beautés qui ne demandent qu’à être conquises. Alors, je vais de l’une à l’autre, d’un acoquelicotage parfait à un amargueritage raté. J’ancolisse ici, j’apâquerette là. Je passe mes jours à anarcisser, attiriser, atournesolir et mes nuits à acampanulir, atuliper, alavandir. Demain, j’irai dans le jardin voisin où j’anarcisserai, aclématiterai et alupinerai à ailes rabattues. Les pilotes d’avions et de fusées peuvent aller se rhabiller. Jamais leurs odyssées de l’espace n’égaleront les miennes. Et en plus, moi, je ne pollue pas. Je pollinise.

Je fais mon miel de toutes choses du printemps à l’automne. En juin, dans le grand cerisier, je choisis le fruit le plus foncé et tente un acerisage délicat en faisant très attention de ne pas glisser. C’est dangereux mais tellement délicieux. Quand vient septembre, la vigne m’attire irrésistiblement. Je survole les grappes à la recherche des grains les plus sucrés, et, dès que j’en repère un, je descends en piqué vers lui, ralentis au dernier moment afin d’araisinir en douceur. J’ai du mal à décoller ensuite. Ce nectar me monte à la tête. J’avoue qu’en fin de journée, mes araisinages deviennent de plus en plus hasardeux. Et que dire de la galaxie appelée figuier qui fabrique au mois d’août son propre miel à rendre jalouses les abeilles. Moi, je ne suis pas une abeille jalouse. Je ne peux pas résister à l’attraction figuière. Et il n’y a pas que moi, tellement ça bourdonne là-dedans, des guêpes surtout qui me voient d’un mauvais œil. Mais tant pis. Il faut se battre pour avoir une bonne place sur les fruits qui laissent couler les meilleures gouttes. Après un afiguerrage en catastrophe mais une fois de plus réussi, je chasse quelques fourmis qui ont dû mettre trois jours pour grimper jusqu’ici, et plonge enfin dans le délice des dieux.

Suis-je abeille ? Suis-je guêpe ? Peu importe. Rien n’est impossible dans les rêves. Je suis posé sur le rameau d’un palmier dans un lieu en bord de mer qui s’appelle la Croisette. Le rouge d’un tapis m’attire. De jolies femmes marchent dessus. Non, j’hallucine, celle-là, qui rit aux éclats, épaules nues et robe noire, je la reconnais ! C’est Marion Cotillard. C’est trop tentant. J’amorce une descente. Acotillardage en douceur. Et maintenant ? Quand j’arosis ou apâquerette, je sais ce qui m’attend. Mais avec Marion Cotillard… La butinerai-je ou la piquerai-je ? C’est pas tout d’acotillarder.

 

Publié dans CAUSE TOUJOURS…

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I
Ah quelles délices, ces vols fleuris et fruités qui nous emprintempsent la vie ! Merci Bernard !
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