Ma tête au-dessus du buffet.

Publié le par Michel Gorsse

Ma tête au-dessus du buffet.

Ils sont là. Ils sont partout. J’en suis cerné. Le jour, la nuit. Dès que je fais un pas dehors aussitôt j’ai physiquement la sensation d’être dans des dizaines de collimateurs à la fois. Je me demande ce qui les retient encore de faire feu. Ils rêvent tous de faire de ma tête un magnifique massacre pour leur salon. Ma tête au dessus du buffet, ça, ça les ferait bander.

Je le sais, ils ourdissent combines et magouilles pour m’achever en toute impunité. Ils font des plans, ils trament, ils sollicitent l’aide de leurs semblables. Ils préparent l’hallali. Je le vois, quand par le plus grand des hasards j’en croise un, à ses yeux d’agneau de dieu, à sa façon séraphique de s’intéresser au paysage. Même un enrhumé de première, derrière l’ange, reniflerait l’exterminateur.

J’entends bien dans leur tête la meute hurlante qui n’attend qu’à se déchaîner. J’imagine aisément le spasme de jouissance qui les secoue la nuit jusqu’à la pollution, quand ils rêvent qu’ils m’abattent, quand mon sang coule jusque dans leurs draps. D’instinct je sais que dans leur terminologie je ne suis autre chose que la proie.

Pour eux l’affaire est déjà dans le sac. Depuis le temps qu’ils veulent ma peau que ça y est, ils l’ont déjà vendue. Ils en sont aux préparatifs pour célébrer l’événement. Ils astiquent l’argenterie pour le banquet qui suivra. Ils peaufinent les discours de victoire. Ils s’essayent par avance au récit qui les éclaboussera de gloire.

Bientôt je ne serai plus là pour brouter l’herbe de leurs moutons, pour boire l’eau de leurs torrents. Je ne les irriterai plus de ma beauté altière. Le pays sera à eux, rien qu’à eux, tout à eux. Et le soleil aussi sera leur propriété et ils pourront se pavaner en maîtres du monde.

Le triomphe dans leur tête, ils s’avancent en rang serré. Ils sont hardis d’être tous ensemble. Ils se poussent du coude pour s’exciter les uns les autres. Ils sont braves, avides, impatients. Ils ne trembleront pas, ils aiment ça, le carnage.

Mais moi, je m’envolerai.

 

Ma tête au-dessus du buffet.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article