Délivrez-nous de la pub

Publié le par Bernard Revel

Délivrez-nous de la pub

Pour Hara-Kiri et l’ancien Charlie-Hebdo, celui des années 70, comme pour Coluche ensuite, la publicité était la bête noire. C’était mal vu, à l’époque, de la critiquer. Elle était symbole de richesse, de modernité, de dynamisme. Elle avait ses stars et ses génies autoproclamés comme un certain Jacques Séguéla, fils de pub et fier de l’être. Ces gens-là s’en mettaient plein les poches dans l’exploitation de ce qui, selon eux, était l’art des temps modernes, la nouvelle machine à rêver. En la détournant à sa façon, Hara-Kiri en a fait une machine à rigoler. Il n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Exemple, sur la photographie d’un chasseur brandissant fièrement à la pointe de son fusil un pigeon transpercé, ce slogan : « Avec le fusil Manufrance c’est comme à Verdun. Ils ne passeront pas ». Ou bien, illustrés par la tête d’une femme mains jointes recevant en guise d’hostie une tranche de saucisson, ces mots : « Pour les prêtres à la page l’hostie pur dieu Olida toujours fraîche (demandez notre mélange dieu et bœuf pour églises pauvres ». Toutes les grandes marques, La Redoute, Carrefour, Ripolin, William Saurin, passaient ainsi à la moulinette de la bande au professeur Choron. C’était sa manière à elle, pornographique, scatologique, outrancière, subversive, de dénoncer le mensonge des incitations à la consommation qui fleurissaient de plus en plus dans les pages des journaux, sur les écrans de télévision, dans les rues et les boites aux lettres. Le mensuel « bête et méchant » distribua même à une époque des affichettes portant ces simples mots : « La publicité vous prend pour des cons. La publicité rend con ». J’en avais collé une sur la vitre arrière de la voiture de mon père qui s’était empressé bien sûr de la faire disparaître.

Aujourd’hui, la publicité est partout. Sa dernière conquête : internet. Elle envahit les blogs, les sites d’information, les boites de réception, s’imposant sans vergogne dans nos lectures tel un cancer dont nous sommes impuissants à arrêter la propagation. C’est l’époque, il faut vivre avec, disent les responsables de tous poils, directeurs de presse, élus des villes et des champs qui lui vendent toute la surface qu’elle veut. Et c’est ainsi que l’information finit par dépendre d’elle et que les paysages urbains, les bords de routes, les espaces publics ne sont plus que des supports d’affiches qui les enlaidissent. La tendance est-elle irréversible ? Longtemps, on a pu le craindre. Mais peu à peu, depuis quelques années, un mouvement de contestation gagne du terrain. L’idée fait son chemin que la publicité est une forme de pollution qu’on n’est pas obligé de subir. On la supporte de moins en moins quand elle saucissonne un film à la télé. Au niveau individuel, ce ras-le-bol se manifeste par la multiplication des autocollants « pas de pub » sur les boites aux lettres. Mais il faut constater une fois de plus que l’exemple ne vient pas d’en haut. Du côté des pouvoirs publics, pour le moment, on laisse faire plus ou moins. Le seul qui ait osé s’attaquer à la pub, et ce fut d’ailleurs l’une de ses rares bonnes initiatives, c’est Nicolas Sarkozy qui la fit supprimer le soir sur les chaînes publiques.

Il faut en effet un sacré courage pour s’attaquer à la publicité quand on est un élu. Elle représente énormément d’argent, elle est la vitrine des plus grandes puissances économiques, arguments auxquels tous les maires sont sensibles. Pour la pub rien n’est trop beau, tout peut être enlaidi : les entrées de ville défigurées, les places et les avenues « décorées » d’écrans animés, les bus et les abribus tapissés. On sacrifie l’identité propre d’un lieu à la dictature du tape à l’œil, de la vulgarité, du mauvais goût étalés partout, si bien que toutes les villes finissent par se ressembler. Les maires se résignent. Ils comptent leurs sous. Pour eux, aucun retour en arrière n’est possible.

Ce n’est pas l’avis du maire écologiste de Grenoble Eric Piolle qui vient de décider de « libérer » sa ville, d’ici à mai 2015, de 300 espaces publicitaires. Evidemment, les élus PS et UMP sont contre. Leur principal argument : c’est une décision « coûteuse et démagogique ». Autrement dit, et cela reflète sans doute la pensée de la majorité des maires, nous sommes condamnés à toujours plus de publicité parce que c’est un mal nécessaire. Eh bien non, dit le maire de Grenoble qui place au-dessus de ce soi-disant « mal nécessaire » des points positifs tels que l’amélioration de la qualité de la vie, la lutte contre l’affichage agressif, la protection des petits commerces. L’exemple grenoblois fera-t-il tache d’huile ? On ne peut que le souhaiter. Après tout, c’est le premier pas qui coûte. D’autres villes suivront. On aimerait bien que Perpignan ne se contente pas de regarder passer cette révolution-là. Mais il ne faut pas rêver. Jacques Séguéla réagit déjà et sort sur internet ses arguments d’un autre temps : pour lui, la mesure de leur municipalité prive les Grenoblois d'une «qualité de vie supplémentaire». Et il ajoute : «C'est la publicité qui apporte à la ville l'info, la couleur, l'humour, la joie de vivre, le partage, le talent et qui favorise le vivre ensemble». N’en jetez plus, la cour du n’importe quoi est pleine. Si Grenoble est la ville natale de Stendhal, c’est à Perpignan, hélas, qu’a vécu et grandi dans un temps où « la réclame » restait à sa place, un certain Jacques Séguéla. Pourvu qu’il ne soit plus prophète en son pays.

 

Illustration : Une fausse pub du mensuel Hara-Kiri.

Publié dans CAUSE TOUJOURS…

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Il me semble que le président Sarko n'avait pas l'intention, en supprimant la pub sur les chaînes du service public, de nous délivrer de la dictature des Séguerolex de tous horizons… Ne voulait-il pas plutôt aider la chaîne de M. Bouygues à renflouer ses caisses ?
Répondre
B
C'est fort probable. Vous venez d'anéantir, Alceste, le seul point positif que j'avais trouvé à Sarko.