Dans le silence des saisons (9)
On y montait parfois le soir
au grenier
ma grand-mère armée du gros couteau de cuisine
qu’elle venait d’aiguiser à la pierre
et moi la devançant avec une bougie
qui propageait des ombres fantasmagoriques
comme celles que j’imaginais dans les films d’épouvante
d’une caisse en bois
elle sortait un jambon enveloppé de linges
d’où s’échappait une odeur boisée
de fraîche salaison et de cendre mêlées
c’était d’abord une dégustation
fines lamelles de chair maigre et moelleuse
chapardées sur la lame
avant que celle-ci n’en détache la base
au ras de l’os
et puis toutes ces tranches bien épaisses
entassées dans l’assiette à charcuterie
pour le souper et les jours suivants
mais beaucoup trop me semblait-il
je lui disais d’en prendre moins
qu’on reviendrait
il était bien meilleur ici
le jambon – fraîchement découpé –
comme le café d’ailleurs – une fois passé –
et dans cette drôle d’association
de gestes et d’odeurs
je revoyais avec amusement ton air résigné
quand elle en faisait réchauffer sur la cuisinière à bois
de ce vieux café à la chicorée sans cesse rallongé avec de l’eau
parfois même bouilli.
Illustration : Anne Valayer-Coster (1767)