La tablée. Poème fantasme.
Les convives mangent,
causent, boivent et rient.
La voisine pas farouche
et jeune,
qu'une gêne
raidit encore,
repousse sa main droite,
trop inconvenante,
trop déplacée,
trop pressée
-sans doute.
Elle repousse
l'intruse
sans la chasser,
de l'entre tissu et chair,
simple geste
d'auto-défense.
Elle a les yeux sur lui,
aux aguets.
Les convives mangent,
causent, boivent et rient.
Elle recouvre,
lentement,
d'une jupe
trop courte,
la rondeur courtisée
de son genou.
Sa main, en aveugle,
persiste et la flatte,
Il la mesure, il l'admire.
Elle...
Libellule des blés,
elle ne s'effarouche pas
de ce premier demi-refus.
Elle se retire,
Elle sautille, ensuite.
Et, à nouveau, se pose
entre tissu et chair.
Le bout de ses doigts,
(qu'elle ne dissuade pas)
s'attarde,
se plaît,
se distrait
entre chair et tissu.
Un éden miniature,
de pétale et de soie.
Son regard vagabonde
et le sien la rattrape.
Elle se laisse faire.
Les convives mangent,
causent, boivent et rient.
La main,
exploratrice,
(la baladeuse des anciens temps),
libellule aussi bien que sauterelle,
n'accélère
ni ne force,
son empire
entre tissu et chair,
pour ne froisser ni pétale ni soie,
mais parachève,
sans cri ni déchirure,
sa conquête
des alentours effervescents
du genou.
Le tissu en est bien moelleux,
et cette aurore
de cuisse
lève
à chaque avancée
une promesse de bon pain.
Sa main,
tout à ses bonheurs,
ne pétrit pas.
Elle glisse,
pas amical de coccinelle,
Sa main
n'offense pas.
Elle affleure
aile amicale de papillon.
Sa main...
toujours discrète,
de Cupidon à Psyché,
dit l'inoubliable conte.
Elle cueille
(dirait-on)
élégante jardinière,
à fleur de peau
et à l'insu des convives,
des émois épanouis,
des heurts tendres,
des chaleurs fruitées...
Elle-même est
à l'orée d'un évanouissement.
Il a rapproché son genou toilé
du sien si doux.
Les autres convives mangent,
causent, boivent et rient.
Sous la table,
ce qui n'était
tout d'abord
qu'un incident discourtois,
était devenu
(chaleur communicative d'un banquet !)
témérité absoute,
contact consenti,
puis
(pouvait-elle l'imaginer?)
ce corps, cet
oiseau de feu.
Elle l'implore,
d'un regard
encore pudique.
Et lui,
de très bon cœur,
l'agrée
Leurs lèvres,
à l'ombre des paupières
qui se referment,
tressautent,
esquissent
et scellent
un accord.
Genou contre genou,
cœur à cœur,
dans un même vœu.
Dans l'indifférence
gloutonne et paillarde
de la tablée.
Illustration © Servane Pauchenne.