Le p'tit Joël (2)

Publié le par Sylviane Blineau

... EN FAMILLE

Il dévale en hurlant la route du hameau. Et il crie ! Et il agite ses petits bras potelés ! Cet enfant-là, c'est un pleureur. « Mamaaaan ! Mamaaan ! «  on entend ça toute la sainte journée. Seuls les câlins de sa mère peuvent canaliser ses torrents de larmes...

Je ne sais plus bien ce que nous lui avons encore fait. Peut-être rien du tout ? Nous, la petite bande de gamins en vacances à la campagne, nous nous sommes retrouvés comme d'habitude dans le bois de mirabelliers, entre le puits et les cabinets. Quel régal que cette gomme rousse suintant des troncs, râpeuse à nos langues ! Joël est notre pleurnichard préféré. Mais il nous revient chaque jour. Il ne peut pas jouer sans nous...

 

Le hameau, niché au milieu des vignes, est notre domaine. Ici l'été nous transforme en sauvageons et seule l'heure des repas nous ramène vers nos tables respectives.

 

Joël vit toute l'année au hameau, chouchouté par sa mère, son père camionneur bien souvent absent. Il a un riche grand-père chez qui nous n'entrons que sur la pointe de nos sandalettes pour grignoter le biscuit à la vanille que la bonne nous offre avec un verre de vin baptisé d'eau. Jamais il n'a pu accepter la cruelle mésalliance infligée par sa fille mais il a un héros, son petit-fils. En reconnaissance, Joël se coiffe comme son grand-père. Chaque matin il se mouille les cheveux, qu'il a très raides, pour les plaquer bien en arrière. Dans notre esprit, ce coup de peigne lui confère un air de gamin un tantinet sur le retour...

 

Ainsi dorloté, adulé, le p'tit Joël est devenu quelqu'un de vraiment spécial au sein de notre petite bande. Plutôt rieurs et joueurs, nous ne lui accordons cependant aucun passe-droit.

 

... ET LES GRANDES VACANCES

Ici nous sommes tous – et toujours – en apprentissage...

Et, la campagne, ce n'est pas de tout repos ! Sur nos bécanes, nous allons parfois chez la maman de Joël. Ses goûters font nos délices et, par sa gentillesse, elle sait nous apaiser. Mais dans la descente qui mène à leur maisonnette il y a un virage. Dans ce virage, un buisson d'orties. Et, bien sûr, c'est presque à chaque fois Joël qui perd le contrôle de son guidon pour y atterrir, hurlant, hoquetant sur son triste sort. Mais, juré craché, personne ne le pousse jamais... Sa mère, alarmée, nous dit qu'il faut encore lui badigeonner les bras et les cuisses avec du vinaigre. Aie, Joël !

 

Ce garçon grassouillet s'avère un peu plus évolué que nous. Chez lui, à la radio, on n'écoute pas que le Tour de France. Lorsque nous faisons du vélo en criant à tout bout de champ « vas-y Robic », lui nous apprend à chanter. Bien utile lorsque nous jouons à la mariée, affublés de rideaux en vieille fausse dentelle ! Rose-Marie, vous connaissez ?

« Oui c'est elle la plus belle de tout le canton – Rose-Marie – faut voir comme tous les hommes répètent son nom – Rose- Marie- car elle est leur idé-idéal.... » Ah, quel succès, lorsque nous défilons de maison en maison, nos couronnes de liserons rose-mauve sur les cheveux.

 

Nous jouons parfois à promener nos vaches. Dans l'atelier du tonnelier, nous chapardons des planches, de préférence celles percées d'un trou de bonde. Un bout de ficelle et, hop, le tour est joué. Encore une vache à mener au pré ! Et avec une vraie badine, car il faut bien taper de temps à autre ! Allez la Rousse, avance...Et toi, Noiraude, arrête de manger les fleurs de la voisine. Mais Joël, ce qu'il préfère, c'est faire le chien gardien de troupeau.

Avec le bois récupéré en douce nous construisons aussi des cabanes. Installation astucieuse mais souvent de guingois car il s'agit de poser les planches, parfois bombées, d'une rive à l'autre d'un fossé très profond. Et là, entre herbe et graviers, nous voici en couple, voire en grande famille, (tout dépend du nombre de joueurs) à nous prélasser au frais, délogeant escargots et insectes à grands coups de sandalette. À nous disputer aussi, nous traitant de « commandeur » ou de «  fièreuse », menaçant de mettre les parents dans le coup. Et gare aux représailles ! Mais de simples Carambars mettent souvent tout le monde d'accord.

 

... ET SES PEURS

C'est le soir. On s'apprête à aller prendre le frais, heures où les voisins se réunissent lorsque les soirées d'été sont belles. Après dîner, munis d'un chandail, les voici assis dans un pré. Certains, un peu poètes, s'allongent carrément, les bras sous la nuque, pour regarder dans le ciel la course bleu marine des nuages. Puis ils pistent les étoiles. D'autres en profitent pour blaguer. Mais le p'tit Joël, lui, déteste le soir, la nuit, peuplés de présences hostiles...Se couler dans l'herbe fraîche lui donne toujours très envie de se retrouver dans son lit d'enfant, si rassurant.

 

Une certaine fin de jour, passant par les jardins, il croit voir un petit chat au pied des dahlias géants. J' appelle en langue chat: « raow, minet, minet ». Joël me devance d'une coudée, me bouscule et se jette sur la petite bête pour la caresser. Sauf que c'est un hérisson. Il se recroqueville et déploie ses piquants. Joël se dit blessé à mort et part en criant chercher sa maman.

Quant aux orvets, n'en parlons pas, ils voudrait les écraser tous. Leur seule vision le fait détaler, hurlant qu'il y a d'énormes boas à tuer sous le hangar. Nous, méfiants, demandons aux adultes ce qu'il en est. On nous rassure : un orvet, c'est inoffensif et, de plus, très utile. Alors, on ne lui fait pas de mal. Si possible !

Chez ma nourrice, au hameau, un poulailler bruyant nous attire aux heures creuses – et rares – d'ennui. Maintenant je refuse d'y entrer, même pour aller y ramasser mes œufs coque. Un jour, Joël a très envie de faire pipi et, en même temps, d'enquiquiner les poules. Il écarte son short bleu, sort son zizi, le passe dans un trou du grillage et lâche son urine en rigolant très fort. Une poule, sans doute vexée, saute dans un bruit d'ailes et, en un rien de temps, pique son petit bout. On regarde : il saigne, il a très mal, il va tomber dans les pommes...On le porte chez sa mère.

Au retour, les hommes disent en riant que la poule a dû confondre son zizi avec un ver de terre !

 

... ET ALORS ?

Joël ? C'était le petit bonhomme rondouillard qui descendait la route en appelant sa mère, écartant ses bras trop courts et perdant son short bleu marine, jurant que plus jamais il ne reviendrait jouer avec nous.

 

Le hameau a bien changé.

Route goudronnée.

Arbres abattus.

Jardins disparus.

 

L'an passé, je me promène à Nantes. Une belle voiture s'arrête au passage piétons. On me hèle « hé, Yayane ! »

C'est Joël, l'ex p'tit Joël. Nous allons prendre un pot afin de refaire connaissance. Dieu, qu'il est devenu séduisant !

. Joël, que deviens-tu ?

Il me fixe posément, l'air assuré, un rien narquois.

.Tu ne sais vraiment pas ? Tu ne regardes jamais la télé ?

Je suis magicien. Un vrai bon magicien, hein ! Ma spécialité : faire disparaître mes partenaires féminines.

 

Le p'tit Joël (2)

Publié dans ESSEBÉ

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