Sainte Cuillère à pot

Publié le par Michel Gorsse

Sainte Cuillère à pot

15 janvier
Sainte Cuillère à pot

A l’instar du brigadier, la cuillère à pot est abonnée aux trois coups. Elle n’en donne jamais quatre. Ou deux. Toujours trois et ne déroge jamais à la règle. Cette constance dans l’action fait sa force. On n’a jamais vu cuillère à pot tergiverser, minauder, se poser de questions. Parmi les cuillères, et la gamme est vaste, elle tient incontestablement le haut de la ménagère.
 
Avec une bonne cuillère a pot plus de souci pour achever une besogne. Elle vous torche ça en moins de deux. Quoique vous puissiez lui confier comme tâche elle en vient à bout en un tour de main. D’où l’intérêt d’en avoir toujours une sous le coude et même dans la poche. Associez la au couteau Suisse et à la brouette, sainte trilogie, et vous avez le kit de survie optimum pour robinsonner les doigts dans le nez.
 
Sa principale qualité c’est de ne jamais y aller avec le dos. Elle ne connaît pas la modération. C’est tout ou rien. Elle rentre dans le lard tête la première et ne s’effarouche de rien ce qui la rend indispensable pour les petits malins que nous sommes. Elle est le passe-partout universel pour ne pas s’enquiquiner la vie et perdre du temps en futilités et contraintes.
 

Grâce à elle les hommes du néolithique purent envisager les premiers le loisir, car en adoptant l’agriculture et l’élevage comme moyen de subsistance ils découvrirent qu’elle était l’outil le mieux adapté pour se la couler douce. On semait les radis en trois coups de cuillère à pot, on trayait la chèvre en trois coups de cuillère à pot et on pouvait se rouler les pouces sans perturber les profondes mutations techniques, économiques et sociales en cours.
 
Il n’est pas une civilisation ensuite, que ce soit chez les Etrusques, les Sumériens, les Assyriens, la Chine des Han, la Chine des Song, l’Egypte antique et jusqu’aux Aztèques qui n’en fit usage. En trois coups de cuillère à pot on bâtit des empires, des religions, des cosmogonies à tour de bras. On en fit pléthore, on en fit à satiété qu’insidieusement l’on finit par s’en dégoûter.
 
Ainsi si la cuillère à pot contribua largement au rayonnement de la pensée humaine elle fut aussi son instrument de destruction par un emploi abusif et immodéré. En imposant une perpétuelle fuite en avant, elle accéléra la décadence de nos sociétés. C’est elle assurément qui nous fit croire en un paradis terrestre. Elle eut au moins cette vertu-là.

 

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L
Voilà qui vaut du Francis Ponge: Le parti-pris des choses ( à vérifier: Et v'lan,passe-moi le Ponge...)
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V
belle allégorie de la démesure<br /> (bien qu'il fut difficile de m'enlever l'image de tes confitures <br /> au fil de la lecture)
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